Amnistie des faits commis durant des mouvements sociaux

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Un texte adopté, mais vidé de sa substance[1]


La proposition de loi relative à l’amnistie des faits commis durant des mouvements sociaux présentée par le groupe CRC a été adoptée de justesse (174 votes contre 172) par le Sénat, mais dans une version qui a vidé le texte de sa substance suite à l’adoption d’amendements déposés par le PS (voire le RDSE).

Sur l’article 1er :

a) Limitation du champ d’application de la loi dans le temps

La socialiste Virginie Klès a défendu un amendement tendant à limiter le champ d’application aux faits commis depuis le 1er janvier 2008. L’argument est qu’il s’agit de limiter l’application de la loi d’amnistie aux effets combinés de la crise (qui a débuté en 2008) et de la politique pénale répressive de Sarkozy.

Cet argument n’est pas recevable. Comme s’il n’y avait pas eu de chômage, de plans sociaux, de licenciements boursiers avant la crise de 2008. Et surtout comme s’il n’y avait pas eu de mouvements sociaux avant l’élection de Sarkozy (2007) et le début de la crise de 2008. Que dire des mouvements contre la loi sur les retraites de 2003 ? Contre le CPE en 2006 ?

Très concrètement, un tel amendement exclut l’amnistie de militants condamnés lors des mouvements sociaux antérieurs à 2008. Or, par exemple, des militants ont été condamnés pour l’occupation de locaux à trois mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende suite à la mobilisation contre le projet de loi sur les retraites en 2003. (http://www.fsu.fr/Motion-de-soutien-a-Philippe.html)

Pendant le débat, la ministre C. Taubira a elle-même dit : « Il n'y a pas de nécessité juridique à fixer une date de départ. » Qu’importe, les sénateurs PS tenaient à limiter le champ d’application de la loi dans le temps. Finalement, après une rectification de l’amendement Klès, la date de départ retenue est celle du 1er janvier 2007 ; ça déplace le problème, mais ne le règle pas ! L’amendement a été adopté[2].

Du coup, aucun militant condamné pour des faits antérieurs au 1er janvier 2007 ne peut bénéficier de la loi d’amnistie.

b) Limitation du champ des peines concernées par la loi d’amnistie

Un amendement, toujours de Virginie Klès, exclut du champ d’application de la loi d’amnistie les menaces proférées contre les personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et réduit ce champ d’application aux contraventions et délits « passibles de cinq ans et moins d’emprisonnement », contre « moins de dix ans »[3], dans la version initiale de la proposition de loi. (le RDSE, qui avait déposé un amendement dans le même sens, l’a retiré au profit de l’amendement PS)

Voilà qui exclut de toute façon[4] (indépendamment de toute autre considération sur l’objet du mouvement) de la loi d’amnistie des militants lycéens ou hostiles à Notre-Dame-des-landes condamnés pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ».

http://www.lemonde.fr/societe/article/2005/06/01/un-leader-lyceen-condamne-a-cinq-mois-de-prison-avec-sursis_656734_3224.html

http://www.leparisien.fr/nantes-44000/notre-dame-des-landes-un-opposant-condamne-a-cinq-mois-de-prison-ferme-28-11-2012-2363475.php

Et à plus forte raison, outre le fait que ce soit pour des faits antérieurs au 1er janvier 2007, cela exclut de l’amnistie le militant condamné pour avoir « outragé » Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, en 2006.

http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20080214.OBS0463/un-militant-de-resf-condamne-pour-outrage-a-sarkozy.html

Cet amendement a été adopté. Notons qu’E. Assassi (CRC) a émis, au nom de la commission des lois, un avis favorable sur cet amendement (sans dire qu’elle y était hostile à titre personnel, comme elle l’a fait sur d’autres amendements).

c) Limitation de l’objet des mouvements sociaux concernés par la loi d’amnistie

Un autre amendement de Virginie Klès exclut du champ d’application de la loi d’amnistie les faits commis lors de mouvements sociaux liés à l’éducation, à la santé, à l’environnement et aux droits des migrants, afin de limiter le texte « aux mouvements sociaux au sein des entreprises et aux mouvements collectifs relatifs au droit au logement. »

Concrètement, cela exclut du dispositif :

  • les militants lycées ou étudiants condamnés (on peut reprendre l’exemple du militant lycéen condamné à cinq mois, cf. supra)
  • les personnes condamnées lors de mouvements sociaux pour la défense de l’environnement, comme Notre-Dame-des-Landes (cas déjà évoqué) ou les faucheurs d’OGM, qui, comme si ça ne suffisait pas, font en plus l’objet d’un amendement spécifique d’exclusion du champ d’application de la loi (cf. infra)

Article additionnel :

Pour le PS, Virginie Klès a défendu un amendement insérant un article additionnel après l’article 1er, article qui exclut « du bénéfice de l’amnistie […] les dégradations volontaires ayant pour conséquence de nuire au bon déroulement de travaux scientifiques ou de recherche ».

Ça a le mérite d’être clair. Comme si l’exclusion du l’amnistie des personnes condamnées lors de mouvements sociaux pour la défense de l’environnement, les faucheurs d’OGM condamnés (http://www.liberation.fr/terre/01012390369-huit-faucheurs-de-mais-ogm-monsanto-condamnes-dont-jose-bove) font l’objet d’un article spécifique pour que tout le monde comprenne bien qu’il n’est pas question de les amnistier.

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Passons sur les articles 2, 3, 4 qui n’amènent que des modifications de procédure ou rédactionnelles.

Aux articles 5 et 6, qui concernent la réintégration respectivement des étudiants exclus de l’université et des salariés licenciés, ont été adoptés des amendements PS prévoyant que les personnes réintégrées ne doivent pas avoir été exclues ou licenciées pour des violences physiques. E. Assassi, rapporteur CRC du texte, a émis un avis favorable sur ces amendements, invoquant une jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1988 selon laquelle la réintégration ne peut pas s’effectuer au détriment des tiers.

Les articles 7 et 8 ont été adoptés (avec une modification rédactionnelle pour le 8), et l’article 9, jugé redondant avec le 8, a été supprimé, E. Assassi étant d’accord. L’article 10 a été adopté aussi.

Venons-en au dernier point important, l’article 11, sur les empreintes génétiques.

Sur l’article 11 :

Virginie Klès a déposé un amendement visant à inclure dans le champ de l'amnistie le refus de se soumettre à un prélèvement biologique « seulement lorsque les faits qui sont à l'origine de ce prélèvement sont eux-mêmes amnistiés. »

Voilà qui réduit très largement la portée de cet article ! Pour bénéficier de l’amnistie pour avoir refusé de se soumettre à un test ADN, il faut que cela porte sur des faits eux-mêmes concernés par l’amnistie.

Reprenons le 1er exemple évoqué, celui de militants condamnés en 2009 pour des faits commis en 2003 dans le cadre des mobilisations contre la loi sur les retraites. (http://www.fsu.fr/Motion-de-soutien-a-Philippe.html)

L’un d’eux a ensuite été condamné en 2011 pour avoir refusé de se soumettre à un test ADN (http://www.humanite.fr/07_04_2011-peine-minimum-pour-philippe-galano-469459).

Or, comme les faits initiaux à l’origine ne sont pas eux-mêmes amnistiés (puisqu’antérieurs au 1er janvier 2007), le refus de se soumettre à un test ADN ne pourra pas non plus, compte tenu de l’adoption de cet amendement, être amnistié.

En clair, les amendements PS créent une sorte de double peine : d’une part, des militants sont exclus du champ d’application de l’amnistie pour les actes qu’ils ont commis et, d’autre part, de ce fait, ils sont exclus aussi de l’amnistie pour refus de se soumettre à un test biologique.

Conclusion générale :

Par rapport à la version initiale du CRC, la proposition de loi adoptée par le Sénat après intégration des amendements PS apparaît comme un texte vidé pour une large part de sa substance.

Non seulement l’amnistie concerne des faits commis sur un laps de temps très réduit (du 1er janvier 2007 au 1er février 2013), mais en plus son champ d’application est très réduit, puisqu’on exclut des actes en fonction soit de leur qualification juridique (avec la notion de « personne dépositaire de l’autorité publique »), soit de l’objet du mouvement social en question (éducation, santé, environnement, droit des migrants + un article spécifique « faucheurs »). Sans parler de la très nette réduction de la portée de l’amnistie pour refus de se soumettre à un test biologique.

En d’autres termes, la portée du texte est pour le moins réduite. Si l’on s’en tient aux personnes effectivement susceptibles d’être concernées par l’amnistie, cela ne doit plus faire tellement grand-monde…

Au fond, ainsi vidé de sa substance, le texte adopté s’apparente presque plus à une loi d’affichage, une loi déclarative – il s’agit de montrer aux militants syndicaux qu’on est solidaire et qu’on les aime bien – qu’à une loi avec une réelle portée juridique : amnistier effectivement les militants victimes de la criminalisation du mouvement social.


[1] Deux remarques sur cette note : d’abord, je m’inspire du compte rendu analytique du Sénat, puisque l’intégral n’est disponible qu’au bout de 24 heures (donc c’est peut-être moins précis). Ensuite, à chaque fois, au lieu de liste exhaustive théorique, j’essaie de trouver des exemples concrets et parlants de cas exclus de l’amnistie.

[2] Notons aussi que, suite à l’adoption d’un amendement CRC, la date de terme des cas concernés est passée du 6 mai 2012 au 1er février 2013

[3] Je n’ai pas trouvé (ça ne veut pas dire qu’il n’en existe pas) de cas de militant syndical condamné à une peine de moins de 10 ans mais de plus de 5 ans

[4] Et c’est renforcé par d’autres amendements PS (cf. la suite)