C'est ça, la lutte des classes !

AddThis Social Bookmark Button

On se souvient de la petite phrase lancée par Jérôme Cahuzac, alors Ministre du Budget, lors de son débat avec Jean-Luc Mélenchon dans l'émission de télévision Mots Croisés le 8 janvier dernier : « la lutte des classes, je n'y ai jamais cru ». Et bien Monsieur Cahuzac, vous êtes pourtant en plein dedans.

Ainsi, Mediapart avait raison. Le Ministre du Budget, chargé d'élaborer le budget de l'État avec l'argent public collecté auprès des contribuables, a avoué avoir un compte en Suisse, donc détourner des sommes afin de le soustraire à l'impôt. Quelles sont les leçons de tout ceci ?

 

Un égarement individuel ?

On ne manquera pas de nous entraîner sur cette pente. Ce serait un acte isolé et la réponse sera donc de « laisser faire la justice » puis de « moraliser la vie politique ». Le fait qu'il soit Ministre du Budget pose quand même sérieusement question. Son Ministre de tutelle, à Bercy au ministère de l'Économie et des Finances n'était au courant de rien ? Le Ministre de l'Intérieur, pourtant abreuvé de « notes blanches », censé être l'homme le mieux informé de France, non plus ? Et s'ils étaient au courant, en ont-ils informé le Premier Ministre et le Président de la République ? Si non, pourquoi ? Lorsque Mediapart a sorti cette affaire, la moindre des choses auraient été de vérifier me semble-t-il. Si aucun de ceux-là ne l'a fait, c'est de l'incurie. S'ils l'ont fait et qu'ils ont couvert, c'est de la complicité. On le voit, cette affaire n'a pas fini de dévoiler tous ses secrets d'État nauséabonds. Toute la lumière doit être faite, nous ne pouvons nous contenter des cris d'indignation.

Toujours est-il que tout ceci est facilité par les moyens de contrôle de l'État qui ont été terriblement amoindris par 10 années d'UMP. C'est facile de cracher sur les fonctionnaires. Il est aisé de dire qu'ils coûtent chers à la Nation. Mais se priver de contrôler les rentrées fiscales peut coûter encore plus cher : l'évasion serait de l'ordre, chaque année, de 50 milliards d'euros. 50 milliards ! On entendait plus souvent les cris d'orfraie de ces belles personnes sur les fraudes aux allocations de santé, chômage et aide sociale. Cette fraude coûterait chaque année près de 400 millions d'euros. Répartis sur quelques milliers de personnes. Par contre, silence sur l'évasion fiscale. On se souvient des promesses de Éric Woerth (le ministre du budget UMP sous Sarkozy) annonçant qu'il avait obtenu les listings des comptes en Suisse, et qu'il allait donner des noms ! On attend encore... Pour mémoire, chaque année en Allemagne, le gouvernement publie le nom de ses ressortissants qui ont un compte à l'étranger, et dans quel pays se trouve ce compte.  Comme quoi, c'est possible. C'est même souhaitable. Les représentants de l'État ou ceux qui aspirent à le devenir y réfléchiraient sûrement à deux fois.

Un système fait de connivences pourries !

Les égarements individuels, pour peu que c'en soit un, rien n'est moins sûr, sont souvent à replacer dans le contexte dans lequel a eu lieu le délit. J'avais déjà écrit une note sur mon blog personnel www.gabrielamard.fr à propos des amitiés étranges de Jérôme Cahuzac, le 10 décembre dernier. Lorsqu'il était président de la commission des finances à l'Assemblée nationale, il avait commandé un rapport bidon à un ami universitaire dans le seul but de dédouaner alors Éric Woerth (encore lui) dans l'affaire de l'hippodrome de Chantilly. Bref, je ne détaille pas plus, je vous renvoie à ma note d'alors et au lien qui y est contenu.
Mais là, ça va plus loin. Il ne s'agit plus seulement « d'amis de droite ». La confusion des genres est totale. D'abord, le compte incriminé est passé de la banque Suisse UBS à la banque Reyl dont l'un des dirigeants... un proche de Nicolas Sarkozy ! Étrange d'aller planquer son fric dans la banque d'un rival politique, non ? Mais il y a encore pire. Celui qui a ouvert ce compte pour Jérôme Cahuzac n'est rien moins qu'un proche de Marine le Pen ! Ancien du Groupe Union Défense (GUD), groupuscule d'extrême droite très violent, connu pour « casser du gauchiste et de l'arabe » (sic), cet avocat intime de Marine Le Pen a avoué avoir rendu à titre gracieux ce service à Jérôme Cahuzac. Comme quoi, le Front National n'est pas si anti-système que ça. Il peut même s'avérer tout à fait proche des manigances de l'oligarchie financière, la preuve.

Le système est au bout du rouleau. L'argent-roi écrase tout sans vergogne. Ainsi, un cardiologue, député-maire, qui ouvre une clinique, n'a encore pas assez d'argent. Il faut également qu'il en planque pour échapper à l'impôt. Comment compter sur des gens pareils pour lutter contre la finance, cet « ennemi qui n'a pas de nom, pas d'adresse », comme le disait François Hollande durant la campagne électorale. Elle a des noms et des adresses. Ses noms sont au gouvernement ou collaborateurs de celui-ci ; ses adresses sont dans les paradis fiscaux. La volonté du Président de la République de lutter contre les paradis fiscaux est tellement grande que son trésorier de la campagne électorale présidentielle, l’homme d’affaires Jean-Jacques Augier, serait actionnaire via un holding financier de deux sociétés offshores enregistrées dans les îles Caïmans.

Une VIème République, vite !

Voilà. La thèse de l'égarement individuel ne résiste pas aux faits. Trop de complicités, dans tous les camps, du PS au Front National en passant par l'UMP. Trop de silences, trop de complaisances, trop d'argent. Ce n'est pas « moraliser » qu'il faut. C'est donner un grand coup de balais « et hop tout ça à la poubelle », comme on le chante dans les manifestations. D'ailleurs, le Parti de Gauche appelle le 5 mai prochain, date anniversaire de l'élection de François Hollande à manifester pour changer de système, pour une VIème République. Et qu'on ne vienne pas nous dire que c'est du « tous pourris » qui va profiter à l'extrême droite ! D'une part, le Front National est mouillé dans cette histoire. D'autre part, c'est aujourd'hui sur toutes les lèvres d'un peuple de France complètement écœuré, à juste titre. Ces appels à ne pas faire d'amalgame sont en réalité une façon de minimiser cette crise politique. Ils croient qu'il suffit de couper une branche morte pour sauver un arbre vertueux. Ils ne voient pas que c'est tout leur arbre qui est pourri.

Oui, le peuple doit s'en mêler ! Au nom de quoi celui-ci serait tenu à l'écart d'une affaire qui parle de son gouvernement, de ses impôts, de sa justice, de ses choix démocratiques ? Le peuple doit s'en mêler. Une nouvelle République, c'est une assemblée constituante chargée d'élaborer une nouvelle Constitution. Qui serait ensuite appliquée par une nouvelle assemblée nationale, aux membres différents de ceux de la Constituante. Ça renouvelle le personnel politique ça, non ? Ça motiverait des élus qui ont réellement envie que les choses changent, et non uniquement les locataires des ministères.

Car on peut changer les choses. On peut redonner des moyens à l'administration fiscale pour mieux contrôler. On peut exiger d'avoir la liste des titulaires français de comptes dans des banques étrangères. On peut durcir la législation sur le « pantouflage », qui permet de passer du secteur public au secteur privé aujourd'hui très facilement, facilitant le mélange des genres. Il suffit pour cela d'en avoir la volonté. Et pour en avoir la volonté, il faut des personnes non compromises avec tout ça.

Alors oui, je vous donne rendez-vous le 5 mai pour marcher sur Paris !