Chroniques d'une décomposition démocratique. Etude de cas : la Grèce

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Après la fermeture des chaînes de télévision publique hellènes, survenues le 12 juin dernier, il m'a semblé opportun de rappeler les étapes de la décomposition démocratique en cours dans le pays. J'ai donc écrit un guide pratique de l'instauration d'une dictature à l'usage de toutes celles et ceux qui veulent soumettre un pays à la finance internationale. Ce billet détaille donc, point par point, les réformes structurelles imposées par la troïka, qui amèneront irrémédiablement vers le despotisme ou le fascisme, si rien n'est fait pour contrer durablement cette tendance Est-ce le livre de chevet de José Manuel Barroso ou d'Antonis Samaras ? Nul ne le sait. Mais vu les récents événements en Grèce, nul doute que ce guide est déjà vendu sous le manteau.

Acte I. Tout d'abord, il est bon d'appauvrir le plus possible le pays en question et de le priver, voire de lui voler ses ressources. Ainsi, après avoir dûment masqué l'état réel des comptes publics pour intégrer la zone euro grâce à la vertueuse banque Goldman Sachs, attaquez sans relâche l'économie et les services publics de l'Etat. Je m'adresse ici à toutes les forces néo-libérales du monde : banques, fonds de pension, institutions internationales comme le FMI, ou régionales comme la Banque centrale ou la Commission européenne. Pour gagner le plus d'argent possible en un temps record, aux dépens du peuple grec bien entendu, tâchez de tout faire pour libéraliser l'économie, privatiser les services publics et forcer à vendre des pans entiers de l'industrie dudit pays, à un prix modique, cela va de soi. Camarades de l'internationale néolibérale, vous avez la force du droit, les Etats, les médias, les investisseurs derrière vous, agissez en bonne conscience. N'ayez crainte, vous sauvez un pays de la dette, vous sauvez l'Union européenne, vous apparaîtrez comme les gentils dans l'affaire.

Acte II. Bafouez en permanence les institutions démocratiques, surtout celles qui nuisent à votre projet. Si un gouvernement conservateur ne parvient pas assez rapidement à instaurer des plans de rigueur, essayez les sociaux-démocrates, ils paraîtront plus sincères pour l'opinion publique. Mais quand ces derniers rencontreront des difficultés politiques, comme la percée significative d'un parti de gauche tel que Syriza, tentez par tous les moyens de délégitimer la formation politique populaire en question. Bien sûr, un gouvernement de technocrates alliant les partis conservateur et social-démocrate est un plus sans conteste. Si possible, installez au poste de premier ministre un ancien salarié d'une grande banque, comme la très vertueuse Goldman Sachs. Enfin, le nec plus ultra est de pouvoir limoger le chef du gouvernement, si ce dernier émet l'idée d'un référendum sur l'application des plans d'austérité ou que la troïka somme au pays de lui fournir la liste des fonctionnaires à virer.

Acte III. Evidemment, sans besoin de vous concerter, vous mettrez en place des plans de communication afin de prouver l'honnêteté de votre action. Vous lâcherez des éléments de langage visant à humilier et culpabiliser le peuple, par nature fautif. Ainsi, vous direz sur les plateaux de télévision, dans les analyses et les interviews pour la presse que le peuple ne travaille pas assez, ne paie pas ses impôts. Bref que ces Grecs sont des fainéants. Parfois laissez-vous aller à quelques plaisanteries. Le Portugal, l'Italie, la Grèce et l'Espagne (Spain pour les anglophiles) ne sont-ils pas des porcs, ou des PIGS comme le disent certains médias anglo-saxons ? Dites-le, le mépris ne fait jamais de mal !

Acte IV. Laissez fleurir les nationalismes, les fascismes et autres résurgences néo-nazies. Lorsqu'un parti comme Aube Dorée émerge au Parlement, évitez de trop en parler. Il agresse des gens dans la rue ? Feignez de ne rien voir ! Il joue à faire la police ? Laissez-le faire ! Avec les coupes budgétaires, les forces de l'ordre sont, elles aussi, réduites à la portion congrue (sauf peut-être la police anti-émeute, mais chut!). Ce parti et les autres groupuscules vous rendent service, vous le pressentez. Deux scénarios s'offrent alors à vous. Plus ces mouvements progressent, plus ils font peur, plus l'opinion se tournera vers les partis de gouvernement. Voilà la première option. La seconde est autrement plus violente. Le régime des colonels est tombé il y a à peine quarante ans. La démocratie grecque moderne est donc bien jeune. Déjà vous sentez un parfum de nostalgie parmi certains citoyens. Que diriez-vous d'un coup d'Etat à la chilienne ? Et si un général nationaliste, qui redonnerait un peu de fierté au peuple grec, se pliait absolument aux exigences des ultra-libéraux ? En voilà une idée qu'elle est bonne ! Certes, rien n'est fait encore, et je me perds peut-être en conjectures, mais prenez le temps d'y réfléchir. Pour l'instant le coup d'Etat financier vous convient. Pour l'instant...

Acte V. Il faut l'avouer, vous faites des dégâts dans le pays, et les gens vous aiment de moins en moins. Les manifestations monstres, les grèves générales à répétition, la progression permanente de Syriza, tout cela vous inquiète de plus en plus. Vous craignez de perdre le contrôle du processus, qu'un parti refusant les conditions de la troïka n’arrive au pouvoir, ruinant vos espoirs de piller le pays. « Il semblerait que les mesures prônées pâtissent d'un problème de communication », pourriez-vous dire de manière feutrée. Eh oui, les gens s'informent, dans les médias, à la télé, sur internet, dans les journaux, et les critiques pleuvent contre vous. Même l'un de vos plus forts soutiens vous lâchent : le FMI admet ses erreurs, dénonce la gestion du cas grec par la BCE et la Commission européenne. Que faire ? Comme dirait l'autre. Il faut agir et vite. Vous êtes gramsciens dans l'âme, vous aussi, et pensez que la domination culturelle assure la domination sociale et politique.
Dans l'urgence, préparez un plan pour réduire les sources d'information et de débat. Coupez le canal hertzien de la télévision publique. Réprimez les manifestations.
Lever de rideau.