Vente à la découpe

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Le gouvernement se prépare à poser un nouvel acte de décentralisation. Basé sur les travaux de l’Association des Régions de France (ARF), l’acte III de la décentralisation serait même déjà bouclé selon Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la Fonction publique (tout un programme rien que dans l’intitulé du ministère), Celui-ci conditionnera de fait les politiques des collectivités territoriales et donc de leurs habitants. En tant que campinois-es mais d’abord en tant que citoyen-ne-s, nous sommes directement concernés.

Le choix de l’organisation institutionnelle d’un pays n’est en effet jamais neutre. Il résulte de la volonté des gouvernants de trouver la solution la plus efficace pour l’application de leurs politiques. En toile de fond se dessine la conception de la Nation et de la place qu’ont les citoyens dans le territoire et dans la prise de décision.

En France, notre mode d’organisation, c’est le cadre républicain. Force est de constater qu’il compromet gravement la politique austéritaire (austérité et autoritaire) soumise aux préconisations bruxelloises et au règne des marchés. L’acte III est là pour y remédier...

Car l’austérité, inscrite comme une loi d’airain avec l’adoption par les socialistes et la droite du pacte budgétaire européen, se décline au niveau des territoires. Il faudrait comprimer les investissements publics au détriment de la relance. François Hollande prévenait d’ailleurs lors de sa campagne : «La décentralisation […] sera même une source d’efficacité de la dépense publique, car il y aura forcément, partout des économies à faire». Après la réforme de l’Etat et celle des collectivités territoriales, la RGPP et les métropoles du duo Sarkozy-Fillon, le gouvernement Ayrault enchaîne à coups de restrictions, resserrement des politiques publiques, compression de personnels… La règle d’or et la soumission des budgets à la commission européenne qui leur sont communes prennent soudain corps : le service public, la cohérence des territoires, le bien-être des citoyens sont évacués et remplacés par les appétits de la finance et la diligence de ceux qui veulent nourrir la bête.

Mais d’austérité à austéritaire, il n’y a qu’un pas. Vite franchi quand on voit que ce nouvel acte de décentralisation s’engage sans les citoyens et sans les salariés ! Masquée derrière une concertation d’opérette, la Ministre avouait le 25 septembre «Nous voulons un seul texte de loi. Il est écrit. Il est prêt». Ce texte envisage notamment de créer un Haut conseil des territoires pour que dialoguent les élus locaux et l’Etat ce qui de fait crée une oligarchie locale et dessaisit les citoyens et les organisations syndicales.

Ne nous y trompons pas : en rompant avec l’égalité républicaine et l’intérêt général, cet acte III vise à formater notre pays pour lui permettre de s’inscrire dans le cadre institutionnel européen et ainsi mieux répondre à la mise en concurrence. Changement de cadre que revendique le ministre de l’intérieur Manuel Valls qui se définit comme «le Ministre de l’Etat territorial». Alain Rousset, Président de l’association des Régions de France veut lui «réformer l’Etat, régionaliser le pays» et permettre «aux Régions d’édicter des normes juridiques».

En voulant confier le développement économique aux Régions, l’acte III ne considère plus les territoires comme des espaces solidaires les uns des autres. La République ne serait plus une et indivisible mais deviendrait un agrégat de territoires en compétition. L’absence de grandes lois cadre conduirait de fait notre pays à se déchirer entre des Régions se «vendant» le mieux possible pour que les grandes multinationales viennent s’installer chez elles plutôt que chez le voisin. La porte serait alors ouverte au dumping social intra national.

Pourtant, forts de l’expérience des différentes décentralisations, nous savons que cela conduit directement à la libéralisation ! Depuis la décentralisation de la formation professionnelle, les qualifications sont régies par le code des marchés et l’AFPA a été démantelée. Le schéma Université 2000 a conduit à l’autonomie et à la loi LRU. La régionalisation ferroviaire entre 1997 et 2002 a ouvert la voie à la privatisation du rail...

La décentralisation sert une fois de plus de prétexte à la braderie du bien commun. Bien d’autres pistes pourraient pourtant être envisagées, dès lors qu’elles seraient construites avec les citoyens et pour l’émancipation du peuple plutôt que sa soumission. La déconcentration par exemple, si elle est correctement articulée, pourrait démultiplier la force du service public sur le territoire et permettre d’innover pour faire une force des spécificités territoriales. Là réside la convergence déjà exprimée en son temps par Robespierre et toujours actuelle entre la nécessité de «l’égalité politique entre les habitants de toutes les parties du pays» et la volonté de rendre «à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas à l’autorité publique», laissant ainsi «d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire».