L’Alsace doit rester française

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Dans un mois jour pour jour, le 7 avril, se tiendra dans notre pays un référendum dont aucun organe de presse national ne parle. Les habitants de la région Alsace se prononceront sur la création d’une nouvelle collectivité territoriale fusionnant le Conseil régional et les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ne vous y trompez pas. Il ne s’agit pas là d’une question alsacienne. Ce vote concerne la France entière. Ce «véritable laboratoire pour un nouveau modèle de décentralisation à la française» (ce sont les termes de la résolution adoptée par ces trois collectivités) préfigure même «l’Acte III de la décentralisation» que le gouvernement veut faire adopter à l’automne prochain.

Dans ce referendum, le camp du « oui » tient tous les leviers de commande. Ca ne vous rappelle rien ? C’est d’abord l’UMP qui est à la manœuvre, à travers les trois présidents UMP des trois collectivités concernées. Cela fait plusieurs années que la droite alsacienne a conçu le projet de collectivité territoriale d’Alsace (CTA) et se bat pour le faire aboutir. Mais EELV soutient aussi la CTA, tout comme le FN et les autres partis d’extrême-droite. « L’intérêt régional » permet des alliances qui seraient conspuées au plan national. Comme d’habitude, le PS est divisé. Ses élus ont éclaté entre le pour (8 d’entre eux), le contre (5 autres) et l’abstention (9). Ces divergences sont souvent territoriales plutôt qu’idéologiques : les élus de Strasbourg voient d’un mauvais œil la réduction de leur influence et la concurrence que la CTA représenterait pour la future métropole. Le principal journal régional, les Dernières nouvelles d’Alsace, fait abondamment campagne pour le « oui ». Il oppose à nos arguments le même ostracisme indigné que celui dont il nous avait accablés quand nous avions proposé l’abrogation du concordat. La seule force politique qui appelle à voter « non » est donc le Front de Gauche. Mais nous n’avons aucun droit d’expression dans le cadre de la campagne officielle. Fort heureusement, il faut aussi compter avec les prises de position de la CGT, de FO et de la FSU contre le projet. Bref la bataille est loin d’être perdue pour nous. Surtout que la loi exige, pour que le projet soit adopté, que les « oui » obtiennent plus du quart des inscrits. L’abstention dessert donc nos adversaires. Ca change ! Alors qu’ils s’en contrefichent le reste du temps, les voilà qui s’affolent devant le risque d’une abstention massive. L’Alsace est donc inondée de campagnes financées par les collectivités favorables au « oui » pour augmenter la participation électorale. Leur message est indigent : tous ceux qui aiment l’Alsace viendront voter, « oui » bien sûr ! Des collectifs se mettent en place, qui sont surtout l’occasion de concrétiser dans des structures communes le flirt récurrent auquel se livrent figures du PS et centristes.

Officiellement, les finalités du projet sont les suivantes : « réaliser des économies de fonctionnement, éviter la concurrence entre les collectivités, simplifier les prises de décision et les circuits administratifs, garantir plus de simplicité et de lisibilité pour nos concitoyens, renforcer la dynamique régionale, mieux peser en France et en Europe, et mieux travailler avec les régions voisines de Suisse et d’Allemagne. » Cette énumération dissimule, tout la fin d’une liste de promesses mensongères, le but essentiel des promoteurs de la collectivité territoriale d’Alsace. Commençons donc par dissiper les rideaux de fumée.

Qu’en est-il de la simplification promise ? A l’origine, la CTA était baptisée « collectivité unique d’Alsace ». L’appellation a été abandonnée. Car dans les faits, la collectivité territoriale d’Alsace couronnerait un édifice bureaucratique comprenant une ribambelle de nouvelles collectivités : le conseil exécutif d’Alsace à Colmar (avec son président), l’assemblée législative d’Alsace à Strasbourg (avec son président), la conférence départementale de Haute-Alsace à Colmar (avec son président), la conférence départementale du Bas-Rhin à Strasbourg (avec son président), une dizaine de conseils correspondant à des « territoires de vie » infradépartementaux (avec leurs présidents), auxquels il faudrait ajouter Eurométropole à Strasbourg (avec son président). Le nombre d’élus diminuerait par le recours au système du conseiller territorial tel que l’avait voulu Sarkozy pour tout le pays. Mais le nombre de présidents, lui, augmenterait ! Humez ce parfum entêtant de féodalisme…

La CTA permettrait-elle des économies ? Certains espèrent en tirer les mêmes bénéfices qu’une fusion d’entreprises. Il faudrait dans ce cas procéder à des licenciements dans les services considérés comme des « doublons ». Les présidents des collectivités concernées jurent qu’il n’en sera rien d’autant que le statut de la fonction publique ne le permet pas… pour l’instant. Au contraire, ils estiment certains jours que les nouvelles compétences transférées nécessiteraient des moyens supplémentaires de l’Etat. Mais ils promettent d’autres fois de ne pas lui demander un sou de plus. Le plus grand flou demeure donc sur l’organisation des services comme sur les équilibres financiers de la CTA. Les partisans du « oui » réclament un chèque en blanc. La seule certitude que nous ayons est la baisse programmée des concours de l’Etat aux collectivités dans la France entière. La réorganisation des services publics locaux se ferait donc dans le cadre de l’austérité ce qui n’augure aucun progrès pour la population.

La CTA faciliterait-elle la relation des citoyens avec les collectivités locales dont ils dépendent ? Là encore, le projet aurait l’effet inverse puisqu’il contribuerait à éloigner les centres de décision des habitants. L’organisation de la CTA serait de plus unique en France. Si l’on suit les inspirateurs de ce projet, chaque région devrait adopter un statut particulier, tenant compte de sa taille, de sa localisation géographique, de sa « culture propre ». Une telle décentralisation rendrait à l’évidence l’organisation territoriale de la France encore plus compliquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Faudra-t-il demain régionaliser les cours d’éducation civique pour que chaque élève s’imprègne des particularismes de la région où il se trouve ?

La véritable finalité de la CTA est en réalité de permettre à une poignée d’élus alsaciens d’échapper aux lois de la République. La résolution du Congrès d’Alsace se lamente ainsi que « les collectivités [soient] souvent limitées dans la liberté d’exercice de leurs prérogatives – l’Etat reste présent, fixant règles, procédures, moyens et exerçant son contrôle. » L’Etat français se voit reproché d’être tout simplement… présent ! Décrit comme une quasi force d’occupation, il est prié de faire ses valises. En s’exprimant ainsi, ces élus alsaciens tiennent-ils à rouvrir les blessures de l’histoire ? En fait, la droite et l’extrême-droite alsaciennes ont en ligne de mire notre droit social national. Ils le considèrent comme une rigidité insupportable qui freine la compétitivité de l’Alsace face à l’Allemagne et la Suisse. Ils lorgnent avec envie sur le « modèle allemand », ses jobs à un euro, l’absence de salaire minimum, ses contrats d’un jour… Si nous nous alignions sur les Allemands, nous pourrions non seulement « travailler davantage avec les régions voisines » mais aussi concurrencer les autres régions françaises se disent-ils. La CTA est le moyen d’un dumping social interne, une sorte de délocalisation intérieure à la France, dans la continuité du détricotage opéré par l’Europe des régions. Elle met en cause l’indivisibilité de la République qui est consubstantielle à notre pays car la France n’est rien d’autre qu’un espace régi par une loi commune issue de la volonté populaire. Il serait donc normal que tous les Français aient leur mot à dire sur ce projet. Hélas la loi Sarkozy du 16 décembre 2010 a autorisé la fusion d’un conseil régional et des conseils généraux à l’issue d’un référendum simplement local. Ensuite le Parlement est censé le transposer dans la loi. Décidément entre la Commission Européenne, le MEDEF et les potentats locaux, les parlementaires vont bientôt laisser la place à des photocopieurs. Cela permettrait quelques économies sans doute. Mais qui défendrait donc l’intérêt général ? Heureusement qu’en Alsace mes camarades s’en chargent et ne ménagent pas leurs efforts (lire leur tract) avec tous les partisans du « non » pour faire échec à ce projet lamentable.