Une réforme de la Politique de la ville sous le signe de l’austérité.

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Comme l’ont fait la quasi-totalité de ses prédécesseurs, François Hollande s’était engagé durant la campagne présidentielle à porter une « grande réforme » de la Politique de la ville avec pour ambition de sortir (enfin) les quartiers populaires d’une situation qui, pour la plupart des cas, ne cesse de se dégrader.
S’appuyant sur les rapports à charge de la Cour des comptes du 17 juillet 2012 et du Comité d’évaluation et de suivi (CES) de l’ANRU de 2013, le ministre délégué à la Ville, François Lamy, a présenté en Conseil des ministres le 2 aout 2013 le projet de loi de « programmation pour la ville et la cohésion urbaine ». Celui-ci a été voté en 1ère lecture par l’Assemblée Nationale le 27 novembre 2013 (abstention des député-e-s communistes et votes contres de la droite) et au Sénat le 15 janvier 2014 (votes pours des sénateur-trice-s communiste et abstention de la droite). Le projet de loi devrait être approuvé en 2nde lecture par l’Assemblée Nationale le 17 février 2014.
En plus de ne pas être à la hauteur de ses ambitions, cette réforme risque de contribuer, par la logique d’austérité qui l’anime, par sa technocratisation et par son absence de prise en compte des habitant-e-s des quartiers, à renforcer les effets qu’elle prétend combattre.

Une réforme d’abord motivée par une logique d’austérité

Derrière l’idée pouvant sembler intéressante de rendre plus lisible les différents zonages actuels en supprimant les diverses ZUS, ZRU et ZFU pour n’en laisser qu’un seul type : le quartier prioritaire (QP), se cache l’ambition gouvernementale de diviser par deux le nombre de quartiers concernés. Il s’agit de réaliser d’intéressantes économies sur le budget de l’Etat. La sortie du dispositif de Politique de la ville de certains quartiers va se traduire pour ces derniers par une baisse drastique des moyens qui leur étaient dévoués, en dotations pour les collectivités territoriales ou en subventions de l’Etat pour les associations intervenant sur ces quartiers.
Cette division par deux (de 2500 à 1300 environ) du nombre de villes et quartiers concernés risque de faire disparaitre la vie associative, souvent bien développée sur ces territoires, et les dispositifs spécifiques (comme les Ateliers Santés Villes (ASV) par exemple) qui dépendent de financements publics et qui permettent souvent d’organiser des services qui, à défaut, n’existeraient pas.
François Lamy et son cabinet ont par ailleurs repoussé la publication de la liste des quartiers concernés, initialement prévue à la fin de l’année 2013, à l’été 2014, dans le but d’éviter de placer ces questions sensibles au centre des campagnes des élections municipales.
Afin de compenser la baisse des crédits accordés dans le cadre de la Politique de la ville (et notamment pour les quartiers sortant qui seront considérés en « veille active ») la réforme prévoit de favoriser la mobilisation du « droit commun », c’est-à-dire de mobiliser les différents ministères pour obtenir des crédits fléchés pour les quartiers ou une territorialisation d’actions. Depuis avril 2013, des conventions d’objectif ont été signées entre le ministre délégué à la ville et une grande partie des autres ministres, décrivant de manière succincte leurs différents engagements. Sans présupposer l’échec de la mobilisation du droit commun en faveur des quartiers prioritaires, il sera, pour les ministères signataires des conventions, à coup sûr, compliqué de déployer actions et crédits quand ceux-ci doivent déjà faire face à une logique d’austérité mortifère. Et il en est de même pour les collectivités territoriales (départements et régions notamment) qui subissent les baisses de dotations.
De plus, le choix d’un critère unique de revenu pour sélectionner les quartiers (moitié de la population gagnant moins de 60% du revenu fiscal médian, soit 11 250 €/an) risque de mal prendre en compte les disparités de « niveau de vie » entre les régions (bien qu’une forme de modulation soit envisagée) mais également de faire perdre à la Politique de la ville sa spécificité d’intervention : de passer d’une logique de développement social urbain à une logique de soutien à des territoires en difficultés qui ne prenne plus en compte les spécificités des quartiers dit « sensibles ».

Un nouveau document contractuel et un changement d’échelle de pilotage

Les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS), anciens documents contractuels de la Politique de la ville, vont également être remplacés par des contrats de ville. Au-delà de la dénomination, apparait avec ce changement de nom une transformation dans le pilotage de la Politique de la ville. Alors que les communes étaient jusqu’à aujourd’hui les principaux pilotes politiques et opérationnels des CUCS, les intercommunalités vont devenir les pilotes stratégiques des contrats de ville, les communes ne gardant plus que le pilotage opérationnel : c’est-à-dire la mise en œuvre locale des actions décidées par l’exécutif intercommunal. La réforme de la Politique de la ville accompagne également la dépossession progressive des communes, échelon démocratique souvent considéré comme le plus proche des citoyen-ne-s, de leurs compétences stratégiques, au profit d’une institution politique souvent mal identifiée par les habitant-e-s et à laquelle il est difficile de demander des comptes.
Sous couvert de vouloir organiser la redistribution et la solidarité à une échelle plus large que la commune, la prédominance de l’intercommunalité est encore renforcée par le futur remplacement, dans le PLF 2015, de la dotation de développement urbain (DDU) versée aux communes, par une dotation Politique de la ville qui sera quant à elle versée aux EPCI et qui risque d’être accompagnée de critères obligatoires de mutualisation.
Les nouveaux contrats de ville qui remplaceront les CUCS seront signés pour 6 ans, sur une temporalité callée sur les mandats municipaux et intercommunaux. La signature des contrats de ville devra avoir lieu en 2014 pour une mise en application en 2015.

Une Politique de la ville sans les citoyen-ne-s des quartiers

Malheureusement, la dépossession de la commune de ses prérogatives en matière de Politique de la ville n’est pas compensée par des dispositions en faveur de la participation des habitant-e-s. Alors qu’en juillet 2013 la sociologue Marie-Hélène Bacqué et le Président du collectif AC Le Feu Mohamed Mechmache rendaient au ministre un rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville, ça ne se fera plus sans nous », volontariste en faveur du « pouvoir d’agir » des habitant-e-s, les préconisations de celui-ci n’ont pas été suives d’effets. Seule l’obligation pour les collectivités territoriales de créer des « conseils de citoyen » dans les quartiers prioritaires a été retenue. Or celle-ci risque fortement de faire émerger de simples conseils de quartier « bis » où la parole est retenue et contrôlée par les élus, car généralement rien n’est fait pour développer une véritable participation populaire.
La « co-construction » et la « co-décision » ne resteront que des vœux pieux tant que les intérêts des grandes entreprises de construction, les bailleurs privés, et de manière générale ceux qui tirent profits des opérations de renouvellement urbain financées dans le cadre du PNRU (programme national de renouvellement urbain) auront voix prépondérante auprès des élus, et notamment lorsqu’il s’agit de détruire/reconstruire plutôt que de réhabiliter (qui est pourtant le plus souvent le souhait des habitant-e-s).
Enfin, parce qu’elle repose encore sur une logique de zonage, la réforme de la politique de la ville contribue toujours à stigmatiser les habitant-e-s des quartiers populaires. Bien que les député-e-s du groupe GDR et sénateur-trice-s du groupe SRC soient intervenu-e-s dans les discussions parlementaires pour faire reconnaitre et faire voter un amendement qui interdit les discriminations territoriales, celles-ci continueront tant qu’un autre regard ne sera pas porté sur ces quartiers.

Alors qu’elle était particulièrement attendue par les élu-e-s et les professionnel-le-s la réforme Lamy de la Politique de la ville est loin de pouvoir répondre aux enjeux d’égalité territoriale qu’elle prétend poursuivre. A défaut de pouvoir lutter contre les causes profondes (chômage, précarité, absence de services publics, ségrégation sociale, illettrisme, etc.) des maux des quartiers populaires, qui nécessiteraient une véritable politique nationale volontariste et courageuse de redistribution des richesses et de lutte contre la finance ; l’actuelle réforme de la Politique de la ville, de la même manière que les lois mises en œuvre par la droite durant la dernière décennie, n’ambitionne d’agir que sur les effets. Or, avec moins de moyens financiers pour soutenir et développer les associations et les services publics implantés sur le quartier, et toujours sans possibilité de lutter contre les processus de ségrégations, nous pouvons déjà prévoir l’inefficacité voire la nocivité de cette nouvelle réforme.